Les Villas Fondet à Beaune

UN CHARME ET UN ART DE VIVRE A LA BELLE ÉPOQUE

Au XIXe siècle se répand la vogue des villas suburbaines qui se définissent comme des résidences principales entourées d’un cadre vert : on cherche à associer la séduction estivale d’une demeure à la campagne aux avantages de l’implantation citadine de l’hôtel particulier. Les Villas Fondet, construites à partir de 1893 à l’ouest des remparts de Beaune, répondent à cette recherche d’un cadre vert à proximité d’un centre-ville. Né dans le cœur de cette cité en 1845, Camille Fondet a longtemps vécu intra-muros avec sa famille avant d’aller habiter à Remigny, dans la maison de maître d’un domaine viticole qui appartenait à sa demi-sœur Elisa. Ayant acheté la propriété en 1874, il en fit prospérer tout le patrimoine foncier. Mais, découragé par la crise du phylloxéra et désireux de retourner vivre dans sa ville natale, il a vendu la demeure avec le domaine viticole et les carrières de pierre, pour s’investir dans la campagne de construction de tout un quartier résidentiel constitué d’une dizaine de maisons destinées à la location, sauf la plus cossue que Fondet allait habiter lui-même avec sa famille.

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Lotissement de Camille Fondet – villa n° 12 – photo extraite de l’ouvrage d’Irène Raclin cité en bibliographie – cliché de l’auteur.

C’est lui qui a dessiné les plans des villas et conçu l’urbanisme fondé sur un confort nouveau dans ce  petit quartier dont il est resté longtemps le propriétaire. La maçonnerie fut confiée à une entreprise beaunoise de renom dirigée par Antoine Siro. Mais si Camille Fondet était le promoteur, propriétaire et maître d’œuvre officiel, il ne faudrait pas négliger le rôle joué par son artiste d’épouse, Eugénie, nantie d’un premier prix obtenu en classe de céramique en 1883 à l’École des Arts industriels de Genève. Les Villas Fondet, comme le laisse entendre le patronyme qui les désigne, sont le fruit d’une collaboration étroite du couple. Les époux ont, d’ailleurs, pu s’inspirer de modèles  de maisons à la mode à la Belle Époque, et dont les dessins et les plans préétablis étaient publiés en librairie. En modulant deux ou trois plans avec des variantes, les créateurs des Villas ont réalisé des maisons chaque fois différentes, chacune gardant cependant un air de parenté avec les voisines : on a l’impression que le couple s’est laissé tenter par des formules toujours nouvelles en fonction de l’orientation  du terrain ou même du niveau social des locataires ciblés.

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Villa n° 12, détail du décor de céramique – photo extraite de l’ouvrage d’I. Raclin – cliché de l’auteur.

Toutes ces villas, y compris le petit immeuble collectif du numéro 6, étaient conçues pour des locataires plus ou moins aisés. Elles étaient toutes nanties d’une dépendance propre à loger une voiture hippomobile, des chevaux et un grenier à foin. Quant aux maisons individuelles, elles présentaient une entrée de service réservée aux domestiques pour l’accès au sous-sol où se situaient la cuisine, la cave, la buanderie, le bûcher, parfois même un calorifère. Les maîtres, pour pénétrer dans le rez-de-chaussée surélevé, disposaient d’un perron en façade et parfois d’une terrasse sur jardin. Le premier étage était dévolu aux chambres des maîtres complétées d’une salle d’eau ou de cabinets de toilette encore rudimentaires, tandis que les domestiques étaient logés à l’étage dont le confort se limitait à un peu de chaleur qui parvenait du grand poêle du vestibule. Ce schéma séculaire des habitations aristocratiques, ou même bourgeoises, allait être révolu après la guerre de 14-18 : avec la raréfaction des domestiques, la cuisine est allée se loger au rez-de-chaussée, et une salle de bain moderne a été aménagée au premier étage sans que l’architecture extérieure des villas ait souffert de modifications disgracieuses.

L’esthétique de ces hautes façades a été conservée avec le jeu récurrent des mêmes briques colorées aux chaînages d’angle et autour des ouvertures, complétées de jolies céramiques architecturales disposées en bandeaux ou isolées : métopes, rosaces, cabochons, cartouches, clefs d’arc, écussons, mascarons, carreaux de grès cérame…, tout le répertoire de la céramique décorative produite par Perrusson[1] se retrouve dans les travées des fenêtres, mis en œuvre avec des variantes dans les choix et les dispositions différentes pour chaque villa. On devine les tentations multiples d’Eugénie Fondet devant les tons et les formes à associer, aussi bien pour les compositions décoratives des façades que pour les dessins polychromes des toitures qui devaient être agrémentées de gracieux motifs de faîtières fleuronnées avec poinçons, et de tuiles de rives qui allaient constituer de véritables dentelles de céramique. Ces motifs sommitaux devaient, hélas, souffrir les premiers des détériorations du temps alors qu’ils demeurent irremplaçables… Or, l’originalité des Villas Fondet ne s’impose pas vraiment à travers l’architecture elle-même qui, somme toute, reste assez conventionnelle dans ses structures avec la recherche traditionnelle de la symétrie dans la distribution des fenêtres, fût-ce au prix de quelques trompe-l’œil !

C’est par l’ornementation magistrale due à une artiste de formation que ces maisons prolongent encore la séduction surannée de la Belle Époque, lorsque les grandes tuileries proposaient de multiples produits décoratifs pour rajeunir l’architecture par la couleur et les formes décoratives de la terre cuite. Eugénie s’était déjà fait remarquer par la création de motifs destinés à décorer la céramique, comme le révèle son chef d’œuvre primé en 1883. Il n’est pas exclus, d’ailleurs, qu’elle ait pu proposer certains modèles à réaliser par la tuilerie… Aujourd’hui, les propriétaires des Villas Fondet, conscients de la valeur de ce patrimoine fragile, restaurent les maisons dans l’esprit de l’origine en recréant les panneaux d’enduit coloré qui complètent si bien l’effet de la céramique architecturale. Notons que le charme de ces maisons et de leurs dépendances relève aussi du large éventail de la brique et de la tuile à glaçure colorée, sans oublier d’étonnants carreaux de sol à motifs que l’on retrouve aussi dans les frises polychromes des façades. Hélas, avec le temps qui les érode, il ne sera peut-être plus possible longtemps de juger de leur effet, même si les musées cherchent à en conserver le souvenir.

Auteur de la notice : Irène RACLIN,
présidente du CBEH de 1999 à 2002 et en 2005


[1] Jean-Marie Perrusson fonde en 1860 une fabrique de briques réfractaires à laquelle s’ajoute une tuilerie mécanique, puis un atelier de fabrication de carreaux en grès cérame. L’entreprise compte plusieurs sites en Saône et Loire, notamment Ecuisses sur les bords du Canal du Centre, qui est la maison-mère. Elle prend le nom de Perrusson fils et Desfontaines vers 1890, l’usine fabrique alors des céramiques architecturales réputées et des statues. L’établissement d’Ecuisses ferme définitivement ses portes en 1960.


Bibliographie :

RACLIN (Irène), Les Villas Fondet à Beaune, un art de vivre à la Belle Epoque, CBEH 2009, 247 p.

DUNIAS Luc, Les Perrusson-Desfontaines, Ecomusée Le Creusot-Montchanin.