Le bestiaire mélomane de Notre-Dame de Beaune

Rares sont les visiteurs de la Collégiale Notre Dame de Beaune qui font attention à un chapiteau médiéval montrant deux animaux musiciens en plein concert. Il se trouve à l’intérieur de la porte Sud de l’entrée principale, au-dessus du sas. Munissez-vous d’une torche pour l’admirer sur place.

Sur la droite, un bouc tient une harpe par ses sabots. Sur la gauche, un animal, qui ressemble à un cheval, tient dans ses griffes deux instruments à la fois. Il souffle dans un frestl, une flûte de berger fabriquée d’un seul morceau de bois. On voit bien les sorties des tubes accordés entre eux, percés dans la planchette. D’autres représentations de cet instrument original se trouvent au portail Ouest de la cathédrale de Chartres ou dans le manuscrit de Lucques de Hildegard von Bingen. Cette flûte se joue effectivement à une seule main en laissant libre l’autre pour une activité différente. L’animal agite, avec sa deuxième patte, une cloche qui fait penser à celles d’un chapiteau de l’abbatiale de Cluny et qu’on trouve aussi dans d’autres lieux bourguignons de tradition clunisienne, à Sainte Madeleine de Vézelay ou Saint Lazare à Autun. Les cloches servaient aux moines pour leur leçons de chant : elles sont ainsi devenues un synonyme du chant grégorien.

Que veut nous dire le sculpteur avec ce chapiteau ? Depuis l’antiquité l’animal devant un instrument de musique symbolise l’absence totale de culture, d’instruction et de connaissance de soi-même. On trouve l’image dans la littérature, par exemple dans l’œuvre de Boëtius, Sébastien Brand et, même plusieurs fois chez Erasme de Rotterdam. Dans une église s’y rajoute naturellement une lecture chrétienne. Dieu a créé le bouc aux sabots sans doigts, qui seuls permettraient une maitrise adéquate d’un instrument. Aucun animal n’est fait pour le chant ou pour jouer de la flûte. Les deux musiciens se révoltent contre leur destin prévu par l’Eternel : si ce n’est pas de la folie, c’est bien de l’hérésie. Ils mettent en danger l’ordre du monde et le salut de leurs âmes. Le frestl, qui avait, comme d’autres flûtes, sa place surtout dans la musique de danse, devient un symbole de la vanité, d’une danse macabre annonçant la mort – et la cloche sonne l’heure pour le mortel. Une scène apparemment gaie se transforme ainsi en memento mori, un  take-home-message pour le fidèle qui quitte l’église.

Texte et photos : Karoline Knoth

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